Page:Du Camp - Paris, tome 4.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant de cet homme sans bras ni jambes qui se tenait habituellement place Saint-Germain-l’Auxerrois et qui écrivait avec son ventre.

Si, dans un but de moralité publique, on a débarrassé nos promenades et nos rues de tous les écloppés dont l’aspect était repoussant, il n’a pu en être ainsi des infirmes, des invalides, qui, refusant avec énergie d’entrer dans les dépôts de mendicité ou dans les hospices, savent attirer les aumônes sans les mendier et excellent à dépister la surveillance des sergents de ville. Un coup d’œil suppliant, une parole murmurée à voix basse, un geste de prière leur suffisent ; ils n’ont rien demandé, mais ils ne peuvent refuser ce qu’on leur offre, et le temps n’est plus où l’on punissait les personnes charitables. Ils prennent mille précautions pour déjouer les regards trop vigilants des inspecteurs et y réussissent. Un manchot, qui semblait avoir élu son domicile sur le trottoir de la rue de Choiseul, apposait des gens qu’il payait pour l’avertir de l’arrivée des agents. Un mendiant invalide prend matin et soir l’omnibus avec son conducteur, dépense ainsi vingt-quatre sous par jour, et retire, dit-on, encore d’assez bons bénéfices.

Le mendiant le plus habile pour recevoir sans demander que j’aie jamais vu exerce son industrie à Paris depuis longtemps déjà (1870). Il est infirme et ne se meut qu’avec difficulté. Il choisit l’heure où le boulevard des Italiens est encombré de promeneurs, où la rue Vivienne est remplie par les gens qui sortent de la Bourse, pour faire son manège. Longeant les boutiques, s’aidant d’un bâton, gémissant à chaque pas, il s’avance au milieu de la foule, les yeux braqués devant lui, dissimulés derrière de larges lunettes et ne regardant personne ; avec beaucoup de malice, quand il lui faut traverser une rue, il prie un sergent de ville de l’aider. Il est pitoyable à voir ; dans sa main gauche, entr’ouverte et négligem-