elle demeurait rue de Charenton dans une voiture à bras couverte d’une toile cirée. Il se trouva un homme pour épouser cet à-peu-près. Sans métier ni profession, il avait compris le parti qu’il pouvait tirer de ce pauvre être si cruellement maltraité par la nature, et pendant qu’il dépensait son argent dans les cabarets, sa femme lui en gagnait d’autre sur les places publiques. Ce moule informe avait gardé la fécondité de l’espèce : la malheureuse eut deux enfants ; elle cachait avec soin les bénéfices qu’elle faisait, afin de pouvoir élever ses fils, car c’était une excellente mère ; ce n’était pas le compte du mari, qui la battait et la dévalisait. 1848 arriva ; le mari, pris de passion militaire, s’engagea dans la garde mobile et abandonna sa femme.
Chaque jour des plaintes arrivaient à la préfecture de police sur la petite femme sans jambes : personne ne comprenait qu’on laissât un tel monstre faire publiquement ses cabrioles. On fit longtemps la sourde oreille, car elle était intéressante : elle descendait d’une bonne famille ruinée par la Révolution et avait fait ses preuves. Il y a une dizaine d’années, les plaintes s’accentuèrent d’autant plus vivement que, malgré l’abandon du mari, un troisième enfant était survenu, qu’elle l’allaitait en faisant ses momeries et que le nourrisson criait à fendre l’âme pendant que la mère se trémoussait et mettait son horloge en branle. Lorsqu’on voulut lui retirer sa permission, elle se démena comme un beau diable ; elle adressa pétition sur pétition au préfet de police, au ministre, à l’empereur ; quelques-unes sont écrites par elle-même et elle soutient qu’elle n’est pas un « ses pétaque » rebutant. L’irritation contre elle était trop vive, l’interdiction ne fut point levée. Qu’est-elle devenue la pauvre créature, qui aimait à s’appeler la belle Césarine ? Je l’ignore et toutes mes recherches pour le savoir sont restées infructueuses. Elle était le digne