Page:Du Camp - Paris, tome 4.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait été descellée, inclinée légèrement sur le marbre par le fou paisible, qui guettait, en riant, l’effet que produirait sa « bonne plaisanterie ». Je cite ces deux épisodes, et je pourrais sans peine en citer des milliers de cette nature.

On a fait grand bruit autour de certains procès dont le souvenir est dans toutes les mémoires ; on sait aujourd’hui à quoi s’en tenir sur ces prétendues séquestrations arbitraires ; l’opinion publique et les tribunaux en ont fait justice. Mais il faut bien savoir que les preuves d’intelligence données par un individu ne démontrent nullement qu’il n’ait été, qu’il ne soit fou. On peut écrire un mémoire, faire un plaidoyer remarquable, accumuler avec une habileté consommée toute sorte d’arguments en faveur de sa capacité mentale, adresser des pétitions aux autorités législatives, et n’en avoir pas moins été un malade dont l’état pathologique a exigé impérieusement un séjour plus ou moins long dans un asile. On peut être un écrivain de beaucoup de talent et n’avoir aucun équilibre dans la raison : Gérard de Nerval l’a prouvé ; on peut passer par trois formes successives d’aliénation, par l’hypocondrie d’abord, ensuite par la mélancolie, enfin par la manie des persécutions, et être un homme de génie : les Confessions et la biographie de Jean-Jacques Rousseau sont là pour l’affirmer[1]. On ne doit donc pas conclure de l’intelligence déployée, dans un moment donné, à l’intégrité des facultés de l’intellect : ce serait s’exposer à commettre des erreurs graves qui seraient préjudiciables et à l’individu et à la société.

En fait de séquestrations arbitraires, l’occasion a été

  1. Les trois Dialogues que J.-J. Rousseau écrivit vers la fin de sa vie et qu’il voulut déposer, comme un testament, sur le grand autel de Notre-Dame, sont très-intéressants à étudier au point de vue aliéniste ; car ils démontrent comment l’idée de persécution nait, se formule et s’accentue dans les cerveaux malades.