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ment au corps médical. Lorsque la préfecture de police intervint et fit cesser cette industrie qui était menée avec une habileté vraiment admirable, on constata que ce franc-bourgeois se faisait un revenu assuré de 15 à 18 000 francs par an. Il vivait d’une façon modeste, mais confortable et avait un domestique.

Jadis les tolérances administratives étaient plus étendues qu’aujourd’hui : on laissait volontiers vaquer par les rues les culs-de-jatte qui se traînaient et sautillaient dans leur écuelle de bois comme des crabes blessés ; les manchots vous mettaient leur moignon sous le nez ; une monstruosité physique était une fortune et rapportait des rentes comme un bon placement sur hypothèque. C’était là un pénible spectacle pour la population, qui ne ménageait point les plaintes ; tous ces malheureux ont été ramassés un à un et distribués çà et là dans les établissements de bienfaisance. Cette mesure, qui maintenant ne tolère plus d’exception, a fait disparaître de la voie publique une femme que la pitié de l’administration supporta longtemps. Elle était fort connue sous le sobriquet de la petite femme sans jambes. C’était un véritable phénomène vivant, elle le disait elle-même et s’en enorgueillissait. Elle n’avait ni bras gauche, ni jambes, ni cuisses ; elle était née ainsi, à l’état de tronc incomplet. Malgré cela fort agile, elle valsait sur un tabouret à la grande stupéfaction des badauds. De plus, à l’aide d’une rétraction volontaire et vivement répétée des muscles du bassin, elle produisait un bruit sourd, régulier et criait : « Écoutez, messieurs et dames, j’ai une pendule dans le ventre. » Les naïfs appliquaient leur oreille sur son dos et disaient : C’est vrai, elle à une horloge intérieure ; on entend le battement du balancier.

Elle faisait des recettes qui parfois n’étaient point légères ; ce n’est pas, du reste, son loyer qui la ruinait ;