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privée, associé sa femme. Pussin, sans avoir pris l’avis de personne et sans qu’on l’eût remarqué, expérimentait depuis longtemps le système que Pinel allait inaugurer. Il accompagna le médecin en chef dans sa première visite ; les fous hurlaient et se démenaient comme d’habitude. Pinel dit à Pussin : « Quand ils deviennent trop méchants, que faites-vous ? — Je les déchaîne. — Et alors ? — Ils sont calmes ! » L’expérience venait au secours d’une théorie préconçue, et lui donnait une force extrême.

Pinel, après avoir étudié ses malades avec soin, déclara que son intention était de déferrer tous les aliénés qui lui avaient été confiés. Couthon fut délégué à Bicêtre, moins pour assister à un spectacle intéressant que pour vérifier si l’on ne cachait pas quelque « aristocrate » dans les cabanons. — En entendant les cris de ces pauvres êtres, il dit à Pinel : « Il faut que tu sois fou toi-même, pour vouloir déchaîner ces animaux-là. » La scène eut un caractère théâtral qui se ressent de l’époque. Il y avait, depuis douze ans, dans les cabanons, un homme redouté entre tous, ancien soldat aux gardes, nommé Chevingé, qui, atteint d’alcoolisme, avait été conduit à Bicêtre et enchaîné comme les autres fous. Il était évidemment guéri, mais sa fureur ne cessait pas ; sa force herculéenne lui avait permis de briser plusieurs fois ses fers, de jeter bas sa porte d’un coup d’épaule, et les gardiens qui s’étaient chargés de le réintégrer dans sa fosse avaient été à moitié assommés par lui.

Pinel, après lui avoir fait une courte allocution, le délivra le premier et le chargea d’aller enlever les chaînes des autres malades, en lui disant qu’il a confiance en lui et qu’il le prend désormais à son service. Ce fut en pleurant que Chevingé obéit à l’ordre qu’il venait de recevoir ; on peut imaginer la joie de ces mal-