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bêtes dangereuses, étaient tenus à part, enfermés dans des cabanons de six pieds carrés qui ne recevaient d’air et de jour que par le guichet dont la porte était percée ; les planches du lit, garnies d’une boite de paille renouvelée tous les mois, étaient scellées dans la muraille ; les rapports du temps disent que ces loges étaient des glacières. Enchaînés par le milieu du corps, portant des fers aux pieds et aux mains, nus pour la plupart, grelottant dans cette atmosphère humide, ne recevant ni soin ni médicament, les malades étaient dans un état de fureur permanente, injuriaient les curieux qui venaient les voir en partie de plaisir, se ruaient sur leurs gardiens dès que ceux-ci osaient ouvrir la porte, essayaient de se briser la tête contre les murs et réussissaient souvent. C’est en présence de ces misérables que Pinel se trouva.

Dans la Nosologie de Cullen, dont il avait donné une traduction en 1785, il avait lu que, « s’il faut modérer les emportements des fous, il ne faut le faire qu’avec une extrême douceur ; que les chaînes sont barbares, les irritent, rendent le mal incurable ; qu’on les immobilise, sans danger pour eux, à l’aide d’une camisole étroite dont les manches sont attachées l’une à l’autre ; qu’il convient de laisser aux malades toute la liberté compatible avec leur état, et qu’il est bon de les isoler de leur milieu habituel. » C’est de là, sans nul doute, que lui vint l’idée première de la réforme qu’il sut accomplir ; mais il y fut singulièrement aidé par un humble fonctionnaire dont le nom est oublié aujourd’hui, car il l’a absorbé dans sa propre gloire. Il rencontra à Bicêtre un homme du peuple, de formes un peu rudes, de cœur généreux, sorte de bourru bienfaisant, qu’on appelait Pussin ; c’était un simple surveillant, spécialement chargé du service des aliénés, service fort pénible, auquel il avait, de son autorité