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cisme qu’on emploiera contre les diables récalcitrants sera la douche de Charenton.

La science n’est pas restée oisive et, pendant que la justice humaine se désarmait enfin contre les aliénés, elle essayait de formuler des principes qu’on pût appliquer à leur guérison ; en Suisse, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Italie, en France, un mot d’ordre semble avoir été donné ; Plater, Willis, Boerhaave, Fleming, Fracassini, Morgagni, Boissier de Sauvages, Lieutaud, Lorry, décrivent avec soin les différents phénomènes de pathologie mentale qu’ils ont étudiés ; mais lorsqu’il s’agit d’indiquer le traitement à suivre, ils font presque tous fausse route, car le point de départ est erroné. C’était le temps où régnait sans partage la fameuse théorie de l’humorisme, en vertu de laquelle tous nos maux proviennent de nos humeurs, sang, lymphe, bile, etc. ; l’homme était plus ou moins malade selon que l’humeur peccante était à un degré plus ou moins haut de crudité ou de coction. Donc deux remèdes universels qui devaient suffire à tout, la purgation et la saignée. Molière, avec ses Diafoirus, n’a rien exagéré : il suffit de lire les lettres de Guy Patin pour s’en convaincre[1]. La folie violente résidait dans le sang, la folie triste résidait dans la bile, la folie gaie résidait dans les sucs de la rate[2]. On saignait, on pur-

  1. Bordeu, qui fut un homme d’infiniment d’esprit et qui exerça la médecine dans le milieu du dix-huitième siècle, essaye de réagir contre cette déplorable manie d’affaiblir les malades outre mesure en les saignant sans discrétion ; il dit : « J’ai vu un moine qui ne mettait point de terme aux saignées ; lorsqu’il en avait fait trois, il en faisait une quatrième, par la raison, disait-il, que l’année à quatre saisons, qu’il y a quatre parties du monde, quatre âges, quatre points cardinaux. Après la quatrième, il en faisait une cinquième, car il y a cinq doigts dans la main ; à la cinquième il en joignait une sixième, car Dieu a créé le monde en six jours. Six ! il en faut sept, car la semaine a sept jours, comme la Grèce a sept sages ; la huitième sera même nécessaire, parce que le compte est plus rond ; encore une neuvième : quia numero Deus impare gaudet ! »
  2. La théorie de l’humorisme a laissé des traces profondes dans la no-