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sur eux, ils s’éloignent en affirmant qu’ils n’ont rien que de très-honorable dans leur passé, mais ils ne reparaissent plus. En effet, il est bien rare qu’on ne trouve à leur compte quelques démêlés avec la préfecture de police, souvent avec les tribunaux correctionnels, parfois même avec la cour d’assises. Les plus malins, ceux qui ont des raisons pour redouter une sorte d’interrogatoire, écrivent, sollicitent une aumône et prient qu’on la dépose chez le portier, où ils reviendront la chercher ; afin de mieux attendrir leurs dupes, ils s’affublent parfois des titres les plus baroques : il en est un qui, portant très-réellement le nom d’un écrivain mort aujourd’hui, signe en manière de protocole : « poëte et membre de l’Académie flosalpine. » C’est un homme de cinquante ans, fort alerte, qui pourrait gagner sa vie en travaillant, mais qui préfère subsister d’aumônes, tout en étant nourri par sa mère, pauvre vieille de soixante dix-huit ans, qui fait le dur métier de marchande des quatre saisons lorsque ses infirmités le lui permettent.

Le drogueur de la haute le plus curieux que j’aie vu était un ancien élève en médecine qui n’avait pu escalader les sommets du doctorat. Il avait bonne tenue, se présentait bien et parlait à voix basse, comme un homme accablé par des infortunes trop lourdes. Fort régulier, du reste, en ses habitudes, il tenait un registre de ses opérations ; c’est ce qu’il appelait son livre d’adresses. Le nom de tous les médecins de Paris s’y trouvait, suivi d’une note très-brève, mais fort explicite : N. blagueur, rien à faire. — X. abord bourru, insister. — Z. naïf et larmoyant, toujours attendri. — P. lui parler de son volume de poésie. — A. lui dire du mal des prêtres. À côté de ces mentions, on lisait une date, celle de la visite faite ; plus loin un chiffre, celui de la somme reçue. Il ne se présentait jamais deux fois dans une année chez la même personne et s’adressait exclusive-