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sive, persistante, odieuse, elle se montre ces jours-là ce qu’elle serait incessamment si l’on n’y mettait bon ordre.

La forme la plus insupportable de la mendicité est celle que lui donnent ces industriels de moralité suspecte, surnommés par les filous, leurs proches parents, drogueurs de la haute ou francs-bourgeois et qui viennent à domicile montrer des certificats d’infortune. Ceux-là sont les pires de l’espèce ; ils sont très-nombreux, et semblent avoir divisé d’un commun accord la population parisienne en catégories distinctes qu’ils exploitent sans jamais empiéter les uns sur les autres. Qui n’en a vu entrer chez soi ? qui n’a remarqué leur mine à la fois insolente et humble, leurs cheveux gras, leurs vêtements qui gardent encore quelques traces d’élégance sous la crasse et l’usure ? qui n’a observé leurs yeux inquiets et fureteurs ? qui ne s’est détourné au souffle chaud de leur haleine chargée d’alcool ? Ils ont l’échine courbée, la voix plaintive, ils énumèrent avec complaisance le nombre des personnages importants qui ont daigné « les honorer de leur bonté ». Ils demandent qu’on veuille bien signer sur le papier qu’ils présentent, afin d’avoir toujours sous les yeux le nom de leur bienfaiteur, nom qu’il faut refuser d’écrire, car il servirait invariablement à faire des dupes.

C’est l’envie, la paresse et quelque vice secret qui les a faits ce qu’ils sont ; un fond d’orgueil a subsisté, et ils viennent tendre la main dans le salon ou l’antichambre au lieu de la tendre au coin des rues. À bien regarder leurs fortes mains où les tendons et les veines forment des saillies vigoureuses, on comprend qu’elles sont aptes non-seulement à empocher l’aumône, à lever le verre sur le comptoir d’étain des cabarets, mais encore à faire lestement sauter la gâche des serrures trop bien fermées. Si on leur dit qu’on prendra des renseignements