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Hélas ! un des plus grands hommes que l’humanité ait produits, un homme qui fut aux temps modernes ce qu’Hippocrate fut aux temps anciens, Ambroise Paré, ne trouve pas dans sa haute raison, dans son expérience, assez de force pour résister à la contagion de ces idées fausses ; lui aussi, il croit à la possession, aux pactes, aux sorts par lesquels les associés du diable peuvent porter préjudice à la santé et à l’entendement des gens qu’ils poursuivent de leurs maléfices : il énumère « les cacodémons, les coque mares, les gobelins, les incubes, les succubes[1], les lutins ; » il dit que souvent « on les voit transmuer en boucs, asnes, chiens, loups, corbeaux, chathuans et crapaux. » — « Ceux qui sont possédés des démons parlent divers langages incognus, font trembler la terre, esclairer, tonner…, soulèvent en l’air un chasteau et le remettent en place, fascinent les yeux. » Si Ambroise Paré en était là, que penser des autres ? Tous les démonolâtres, qui aujourd’hui vivent en si grand nombre dans nos asiles d’aliénés, tous les théomanes, les mélancoliques avec hallucinations, examinés par lui, eussent été reconnus possédés, sorciers, inspirés par Satan et eussent grossi le nombre de tant de malades victimes des préjugés de l’époque.

Il y a cependant au milieu de ces rêveries une observation bonne à retenir et dont la science a pu tirer parti : le diable prend volontiers différentes formes d’animaux. Les hallucinations de cette nature ne sont pas rares chez les aliénés, surtout chez les alcooliques ; ils voient souvent des serpents ramper vers eux, et ils éprouvent alors des angoisses qu’il est difficile de cal-

  1. La croyance aux incubes et aux succubes était générale ; Florimond de Rémond dit très-sérieusement, dans son Histoire de l’Hérésie, que Luther naquit sous la constellation du Scorpion, de l’union fortuite d’un incube et d’un succube.