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de misères que pour aspirer, pour atteindre aux ineffables splendeurs des régions célestes. Les Livres saints n’ont-ils pas dit : « La poudre retourne à la poudre, l’esprit remonte à Dieu qui l’a créé ? » Le corps n’est que l’habitacle de l’âme, temple ou caverne, selon que l’éternelle invisible se garde à Dieu ou se donne au démon. C’est donc sur l’esprit seul qu’il faut agir lorsque l’esprit est malade, puisqu’il est régi par des lois spéciales, qu’il a une destinée particulière et qu’il n’a de commun avec la matière qu’une juxtaposition momentanée[1]. C’était s’éloigner singulièrement du galénisme et de cette doctrine si sage pour un médecin de soigner à la fois l’âme et le corps. On poursuivait, il faut le reconnaître, un idéal de pureté qui ne manque pas de grandeur ; à force de vouloir élever, sublimer l’esprit, on en arriva non-seulement à mépriser, mais à briser la matière ; voyant en elle toutes les causes de révolte qui poussaient au mal, on voulut l’anéantir à force de jeûnes, de macérations, de privations de toute sorte. Il se produisit alors un fait pathologique qu’on n’avait pu prévoir et qu’on ne sut reconnaître : la matière surmenée, émaciée, amoindrie, perdit son équilibre et rendit l’esprit malade.

Cette théorie de la séparation de l’homme en deux parties non-seulement distinctes, mais adverses, eut un résultat bien plus grave : elle pénétra la science, qui la reçut toute faite comme une tradition respectée, et

  1. Les réformateurs les plus persévérants et les plus hautains subissent la tyrannie des erreurs publiques ; Luther écrit, à la date du 14 juillet 1528 : « Les fous, les boiteux, les aveugles, les muets sont des hommes chez qui les démons se sont établis. Les médecins qui traitent ces infirmités comme ayant des causes naturelles, sont des ignorants qui ne connaissent point toute la puissance du démon. » L’opinion catholique n’est pas plus sage : les cas de somnambulisme, de noctambulisme, si fréquents chez les femmes nerveuses, proviennent d’un baptême imparfait ou administré par un prêtre en état d’ivresse. (Michelet, Mémoires de Luther, t. II, p. 171-173.)