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profité de cette disposition pour isoler les unes des autres toutes les catégories de pensionnaires lorsqu’on les conduit à la messe. Les indigentes sont placées dans une travée, les épileptiques dans une autre, les idiotes dans une troisième, et ainsi de suite. Le personnel ecclésiastique est nombreux, les cérémonies sont très-pompeuses, l’encens brûle à profusion, et les chants de l’orgue montent sous les voûtes sonores. Un personnage impassible assiste aux services religieux avec une solennité peu commune : c’est le suisse, qui n’est autre qu’un vieux bonhomme emprunté à Bicêtre. On le revêt, pour la circonstance, d’un uniforme galonné sur toutes les coutures, on le coiffe d’un chapeau à trois cornes, on lui applique des épaulettes en or, on lui passe autour du corps un large baudrier rouge passementé, et on lui met entre les mains une canne de tambour-major. Jamais général fantastique dans les bamboches des petits théâtres ne fut plus sérieux et plus comique. Il se sent admiré, se redresse, et fait valoir sa haute taille. Pénétré de l’importance de sa mission, il ne sourcille pas, et il ne laisse même pas tomber un regard sur les pauvres vieilles qui le contemplent avec ravissement lorsqu’il passe auprès d’elles dans ses splendeurs et sa sérénité.

Parfois, souvent même, on fait des sermons aux femmes de la Salpêtrière. J’en ai écouté, et j’ai été surpris d’entendre qu’on leur parlait de l’enfer, de peines éternelles et d’un Dieu vengeur. À quoi bon ces évocations redoutables ? Est-ce dans un tel lieu, dans la maison ouverte à la vieillesse, à la maladie, à l’infirmité incurable, qu’il faut faire gronder des paroles de menace et d’épouvantement ? Les misérables auxquelles on s’adresse n’ont rien compris à la vie, sinon qu’elles y ont souffert ; si la vie future n’est pour elles que l’attente redoutée d’une souffrance possible et plus grande