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d’une tête de mort sanguinolente : c’est un cauchemar. L’une de ces malheureuses est devenue pour ses compagnes mêmes un tel objet d’horreur, qu’on lui enferme la figure dans un bonnet de cotonnade en forme de cornet qui la cache absolument aux regards. Par une ironie du sort, elle porte le nom de la magicienne des rajeunissements : elle s’appelle Médée.

Les grandes-infirmes ont une infirmerie spéciale ; on les y transporte quand une maladie accidentelle vient s’ajouter à leur mal incurable. L’une d’elles mourait lorsque j’ai passé près de son lit. Ses yeux hagards et flottants regardaient déjà au delà ; la froide rosée que la mort répand sur les fronts qu’elle va toucher baignait son visage ; ses lèvres pâles murmuraient des sons indistincts ; un prêtre était près d’elle : avec le baume des dernières onctions il frottait le front, la paume des mains, la poitrine et disait à demi-voix des prières auxquelles répondait une fille de service. Les voisines de la moribonde la contemplaient sans effroi, sans envie, avec une indifférence bestiale qui est peut-être, après tout, le seul sentiment qui subsiste dans ces pauvres cerveaux si faibles, qu’ils ne peuvent plus concevoir ni une pensée, ni un souvenir, ni une espérance. Pour les malades des autres services, il existe une vaste infirmerie isolée entre deux parterres ; les salles en sont assez spacieuses pour qu’on ait pu placer les lits de telle sorte que chacun d’eux soit en face d’une fenêtre, disposition excellente, et qu’il serait bon d’appliquer autant que possible à nos hôpitaux. Toutes les pensionnaires qui ne sont pas retenues à l’infirmerie, soit au quartier des grandes-infirmes, soit dans leur dortoir respectif, par quelque indisposition passagère, sont répandues dans les cours, dans les jardins, ou assises à l’ombre d’un immense quinconce, si touffu qu’il ressemble à un vrai bois, et qu’on appelle la Hauteur.