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quels elles se sont meurtries, qu’elles flottent entre l’imbécillité, le retour à l’enfance et la mort ; elles ne peuvent supporter ni reproches ni observations ; elles ont peur de tout, et, quand on les regarde, elles se mettent à pleurer.

D’autres, au contraire, énergiques et très-vivantes malgré leur âge, oscillent entre la folie et la raison. En général, celles-ci sont taciturnes, en dessous, pour me servir d’une locution vulgaire très-expressive. Elles se croient en butte à des persécutions ; des voix leur parlent, qui les menacent, mais ne les effrayent pas ; elles aiment la lutte, la cherchent, s’y jettent avec une extrême violence. À leur avis, tout est mauvais, le lit, la nourriture, le vin, les médicaments ; on a fort à faire pour les calmer et les maintenir en paix. L’une d’elles avait groupé près de son lit tous les chats de la maison ; grâce à elle, le dortoir était une ménagerie ; un tel état de choses était intolérable et l’on y mit bon ordre. Depuis ce temps, elle est devenue farouche et dit qu’elle veut mourir. Ces malheureuses, que l’on pourrait, sans craindre de commettre une erreur, transporter dans la division des aliénées, occupent une salle à part, la salle Sainte-Eugénie, qui forme une sorte de section pénitentiaire, où cependant elles subissent le régime et la discipline imposés à toute la maison.

Celles qui sont restées valides et peuvent encore faire œuvre de leurs doigts travaillent pour le compte de l’administration. Les moins alertes font de la charpie, les autres cousent des draps, des chemises, ravaudent des bas, préparent des mèches de veilleuse ; il leur faut bien besogner pour gagner quatre ou cinq sous par jour. Quelques-unes ont conservé une adresse de mains et une acuité de vue extraordinaires : une vieille, âgée de quatre-vingt-deux ans, surnommée la fée, ne se sert pas de lunettes, et fait des points piqués avec une perfection