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il est difficile de s’approcher sans répulsion, ce sont les gâteux. Ceux-là sont retournés vers tous les inconvénients de l’enfance. Leurs lits, qu’ils ne quittent, jamais, s’appellent des auges, de hauts côtés en bois les protègent contre les chutes, ils dorment sur des paillasses qu’il faut changer au moins tous les jours. On doit les traiter comme des nouveaux-nés, les faire manger, les laver et leur rendre les soins qu’on devine sans qu’il soit besoin de les définir. Par un contraste étrange et qui est à l’honneur de l’humanité, le personnel des infirmières est aussi bon dans les hospices qu’il est déplorable dans les hôpitaux. On dirait qu’à force de vivre avec les mêmes infirmes, de les secourir, de pourvoir à tous leurs besoins, on finit par s’attacher à eux et par aimer cet épouvantable métier, qui ne donne ni repos ni trêve. J’avais remarqué une infirmière, grosse fille d’une quarantaine d’années, qui s’empressait autour des auges, et joyeusement faisait manger les gâteux. Je l’interrogeai. « — Combien avez-vous de lits à soigner ? — Quinze. — Combien de temps dure votre service quotidien ? — De cinq heures du matin à six heures du soir. — Depuis quelle époque êtes-vous aux grands-infirmes ? — Depuis dix-huit ans. — Combien gagnez-vous par mois ? — Vingt et un francs. — Vous aimez votre état ? — Ah ! oui, monsieur ; sans mes malades, je m’ennuierais trop. »

Tous les paralytiques ne sont point dans ces funèbres dortoirs ; quelques-uns, qui peuvent encore remuer les bras, sont placés dans de petits chariots à quatre roues qu’ils sont capables de mettre eux-mêmes en mouvement, et à l’aide desquels ils se promènent. Quand le chariot verse, c’est tout de suite un événement, et l’on va chercher les infirmiers pour ramasser le pauvre diable. Souvent les contusions sont assez graves pour que le blessé soit transporté à l’infirmerie, qui est très-belle, et où l’on garde douze lits, qu’on appelle lits ex-