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temps meilleurs ; ce sont des artistes, des écrivains, des professeurs, des inventeurs, des commerçants, des fonctionnaires, qui, par suite d’incurie, de mauvaises chances, se sont trouvés acculés par le sort et ont frappé à la porte hospitalière. Ceux-là sont vraiment à plaindre, et cependant l’on vient de voir que ce sont eux qui se plaignent le moins.

Tous, du reste, — est-ce l’effet de l’âge, de la désespérance ou du mauvais exemple ? — ont le même vice, l’ivrognerie. Ils peuvent sortir le jeudi et le dimanche, à la condition d’être rentrés à neuf heures. Après la révolution de Février, les sorties avaient été rendues quotidiennes ; mais les abus devinrent si graves, qu’un arrêté du 17 janvier 1850 décida qu’il n’y aurait plus que deux jours de liberté par semaine. Pour l’usage qu’on en fait, c’est bien assez. Il faut s’asseoir vers huit heures, par une soirée d’été, à la porte extérieure de l’hospice, et voir les pensionnaires oscillant, titubant, tombant, débraillés, la casquette sur le coin de l’oreille, chantant d’une voix chevrotante quelque refrain obscène, pour comprendre que le vin et l’eau-de-vie sont devenus pour eux une jouissance impérieuse. Les environs de Bicêtre sont peuplés de cabarets où s’engloutissent toutes les ressources de ces pauvres diables. Lorsqu’ils reviennent dans un état d’ivresse trop accusé, on les punit, on les prive de sortie, comme des collégiens paresseux. La passion est plus forte, et, dès qu’ils sont dehors, ils retombent aussitôt dans leur péché de prédilection.

C’est peut-être à ce goût des liqueurs fortes, qui coûte cher à satisfaire, qu’il faut attribuer l’ardeur au travail qu’ils témoignent presque tous. En effet, si l’on constate qu’ils n’ont en général aucun sentiment religieux, on remarque qu’ils sont actifs et assidus. L’administration, sentant qu’une occupation constante est, dans une