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plus impérieux besoin de l’âme humaine et pour celle-ci la reconnaissance est un poids insupportable. En dehors de cette cause générale, qui seule suffirait à expliquer le mécontentement perpétuel des pensionnaires de Bicêtre, il en est d’autres, multiples, individuelles, qui appartiennent à chacun d’eux en particulier. Certes, c’est un grand bienfait d’être admis dans cette maison hospitalière et de sentir que le repos matériel est acquis jusqu’à la fin ; mais, pour en arriver là, pour en être réduit à considérer comme une grâce suprême de pouvoir manger la pitance de la charité publique, il faut avoir subi tant de déboires, tant de misères, tant de désillusions, il faut avoir été battu par des flots si contraires et avoir échoué sur tant d’écueils, qu’il reste au fond du cœur un levain d’amertume contre l’humanité tout entière, contre la vie elle-même. C’est ce qui les rend excusables, ces malheureux, et c’est ce que les rapports administratifs font ressortir avec une sage indulgence lorsqu’ils constatent que la population de Bicêtre est toujours mécontente et frondeuse ; ils ajoutent cependant une observation importante : « Il est à remarquer, disent-ils, que les administrés qui ont reçu le plus d’éducation, qui ont connu l’aisance, sont ceux qui se plaignent le moins. » Pour ces derniers sans doute, c’est l’orgueil qui leur ferme la bouche. Quoi qu’il en soit, en 1848, pendant les journées de juin, on a pu voir quel esprit animait ces vieillards ; le principal meurtrier du général Bréa appartenait à l’hospice.

La majeure partie des pensionnaires est formée d’anciens artisans, de vieux militaires, à qui nulle blessure grave n’a ouvert les portes de l’hôtel des Invalides, de domestiques qui n’ont pas su faire d’économies. À côté de ces indigents, et ne s’y mêlant qu’avec réserve, vient un certain nombre de déclassés qui ont connu des