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de Parisienne à la fois sentimentale et gouailleuse. Elle sanglotait et tenait dans ses bras un enfant âgé d’une dizaine de jours environ, embéguiné d’un joli bonnet de dentelle à faveurs roses. Elle s’assit ou plutôt se laissa tomber sur une chaise et dit : « Voilà ma petite, je ne puis pas la garder, je vous l’apporte. » Par une sorte de geste machinal de la main, elle essuyait violemment ses yeux inondés de larmes ; ses doigts laissaient de longues traces grises et humides sur son visage parsemé de taches de rousseur. Les hoquets secouaient sa voix ; tout à coup elle s’interrompit, retira son soulier, l’agita pour en faire tomber du sable qui la gênait et se reprit à pleurer.

On la questionna. « Pourquoi abandonnez-vous votre enfant ? — Je ne gagne que vingt sous par jour, je n’ai pas de quoi le nourrir. » Pendant ce temps, la petite fille s’étant mise à crier, elle la retourna et lui tapota le dos. Le commis regarda la netteté, l’adresse de ce geste, qui dénote des habitudes maternelles acquises, et aussitôt il lui dit : « Vous avez plusieurs enfants ? — Oui, monsieur, j’en ai un autre, un garçon, à la maison. — Quel est le père ? » Elle hésita un peu et répondit : « Un soldat. » L’interrogatoire réglementaire et formulé d’avance sur une feuille imprimée commença. On demanda à cette malheureuse les noms de l’enfant, le lieu, la date de sa naissance, s’il était baptisé, s’il était légitime ou naturel. À la question : « Vous a-t-on dit que vous ne pourriez avoir de ses nouvelles que tous les trois mois, et que jamais vous ne sauriez où il est ? » Elle courba les épaules, inclina la tête, se tassa sur elle-même comme si un poids trop lourd l’avait accablée, et ses sanglots redoublèrent.

Quand toutes les réponses eurent été inscrites, on lui passa la plume pour signer le procès-verbal, elle déclara qu’elle ne savait pas écrire. Le commis tira un