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la ville pleine de cadavres. On n’y allait pas de main morte en ce temps-là, et l’on employait pour traiter les malades des moyens curatifs qui, pour être péremptoires, n’en étaient que plus abominables. À Aix, un homme ayant été reconnu atteint de la peste, fut muré dans sa maison, et, aux portes de la ville, on tua, sans autre forme de procès, trois voyageurs qui arrivaient de Marseille. M. de Belsunce, « qui avait fait merveille jusque-là, » se sentant moins fort que la contagion, abandonna la partie tout à coup, accumula des vivres dans sa maison, et s’y enferma après en avoir fait maçonner les portes[1]. Le bon peuple de Marseille se fâcha contre son évêque ; il entoura le palais épiscopal de corps morts, et en lança même par-dessus les murs[2] ; mais son espérance fut trompée, et le prélat que Millevoye devait chanter put échapper aux atteintes de l’épidémie. À Paris, nous avons traversé deux ou trois crises redoutables ; notre population n’a pas été beaucoup plus sage que celle de Marseille ; elle a jeté quelques prétendus empoisonneurs à la rivière ; mais elle a eu pitié des malades, et si elle a muré les deux extrémités de la rue de la Mortellerie, c’est lorsque tous les habitants l’avaient quittée.

Dans ce siècle-ci, notre administration hospitalière a été mise deux fois à de rudes épreuves, et deux fois, à force d’énergie et de vaillance, elle a triomphé des difficultés excessives qu’elle avait à combattre. Au mo-

  1. L’usage de murer les portes, en cas de contagion, parait être une coutume transmise qui était de règle générale à cette époque ; en effet, Emmanuel de Coulanges écrit de Rome à M. de Lamoignon, en date du 11 janvier 1691 : « Il y a des bruits de peste du côté de Naples qui font peur, et déjà, pour plus grande précaution, toutes les portes de Rome sont murées, hors trois ou quatre qui sont gardées soigneusement. Enfin l’on ne peut plus sortir pour rentrer qu’avec un billet de santé. » — Lettres de madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis ; n° 1313 ; t. X, p. 2, édit. Hachette.
  2. Mathieu Marais, Mémoires, t. Ier, p. 414-454.