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monde dans le coin d’un taudis mal famé. L’abandon moral de ces pauvres filles est tel, que, si on leur demandait quel est le père de leur enfant, la plupart pourraient faire la réponse restée célèbre : « C’est un monsieur que je ne connais pas. » La pitié et la raison d’État interviennent dans d’égales proportions pour leur venir en aide. En effet, d’une part il est impossible de n’être pas remué au spectacle de telles infortunes qui, pour avoir été amenées par l’imprévoyance et l’inconduite, n’en sont pas moins réelles, saignantes, et pèseront sur toute une existence qu’elles empoisonnent à la source et font misérable à toujours ; d’autre part, l’intérêt même de la population, toute morale mise à part, exige que ces enfants anonymes vivent, qu’ils soient élevés, qu’ils ne disparaissent pas avant d’être devenus des hommes ; il faut, dans de pareilles circonstances, se rappeler le mot horrible qu’une pauvre femme, accusée d’avoir pratiqué des manœuvres abortives, dit en pleine cour d’assises : « Et de l’argent ? L’avortement, c’est l’économie des petits ménages ! » En outre, la mère à laquelle on donne une layette, un secours, à laquelle on paye les mois de nourrice, coûte bien moins cher à l’Assistance publique que l’enfant abandonné, recueilli, et que parfois il faudra garder jusqu’à l’âge de vingt et un ans[1].

Là aussi, parmi ces jeunes filles perdues pour qui une si dure expérience n’est que l’accident normal d’une vie sans direction, le vice est en permanence ; il a saisi sa proie et ne la lâche plus. Autrefois, lorsqu’elles sortaient de l’hospice de la Maternité, ou qu’elles avaient été aidées par les sages-femmes des

  1. Le maximum des secours accordés à une accouchée, y compris la layette, les mois de nourrice, etc., est de 380 francs. Un enfant abandonné, recueilli par l’Assistance publique, élevé jusqu’à l’âge de douze ans, coûte au minimum, si c’est un garçon, 1 836 fr. 06 c., si c’est une fille, 1770 fr. 42 c.