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qui s’adressent à la charité publique sont bien souvent ceux qui en sont le moins dignes. Cependant, malgré les reproches qu’on est en droit d’adresser aux indigents, malgré l’étonnement, l’espèce de déconvenue étrange que l’on éprouve en les étudiant de près, lorsqu’on découvre de quoi se compose leur misère, il faut reconnaître qu’ils ont des qualités très-sérieuses, qui, sans les absoudre tout à fait, plaident du moins les circonstances atténuantes en leur faveur. Ils sont très-pitoyables les uns pour les autres, ils s’aident volontiers, ils s’ingénient à se secourir mutuellement, et sans peine ils partagent entre eux ce bien des pauvres, qu’ils regardent comme leur patrimoine particulier. Dans ces quartiers malsains et populeux, dans ces maisons surchargées d’habitants où l’air semble mesuré comme l’espace, dès qu’un malheur est signalé, chacun s’empresse d’accourir, apportant avec abnégation tout ce qu’il possède, son dernier vêtement, son dernier sou, parfois son dernier morceau de pain. Cette charité fraternelle pour des souffrances connues, car elles ont été partagées, leur vaut l’indulgence et la commisération de ceux qui ont à apprécier leurs besoins. Et puis le moraliste ne doit-il pas se dire que ces malheureux sont bien souvent excusables de demander à l’ivresse l’oubli de leurs maux, et qu’une vie de privations perpétuelles pousse invariablement à la recherche de jouissances d’autant plus violentes qu’elles ne sont qu’accidentelles ? C’est pour eux une façon de rétablir l’équilibre rompu, une sorte de vengeance contre les épreuves endurées.

Mais il est une catégorie d’indigents qu’il suffit de voir pour être profondément ému, c’est celle des filles-mères. Elles pullulent dans les rues de Paris, et, sans les secours que leur distribue largement l’Assistance, on ne sait ce que deviendraient les malheureux petits êtres conçus dans une heure de débauche et mis au