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qu’on obtiendra, sera presque toujours dépensé au cabaret ? Est-ce à dire qu’il faut faire trêve à sa générosité et cesser de donner ? Non pas : sur cent mille aumônes, si une seule touche juste, apporte un soulagement et fait un bien réel, cela suffit ; la charité n’a point été vaine, elle n’est pas en défaut. Du reste, à quoi bon se préoccuper de la question d’utilité ? C’est par respect pour soi-même et d’une façon abstraite que l’on doit être bienfaisant ; toute bonne action qui trouve sa récompense ailleurs que dans la conscience de celui qui l’a faite devient immédiatement inférieure et médiocre.

Sous ce rapport, les visiteurs sont très-dignes d’éloge ; ils font le bien avec la conviction profonde, formée par une lente expérience, qu’ils n’arriveront pas à un sérieux résultat ; derrière l’indigence ils voient très-nettement le vice qui l’a causée, mais ils ne gardent qu’un souvenir : celui de la misère constatée, et c’est cela qu’il faut secourir avant tout. Dans plus de cent rapports j’ai lu : « Ce qu’on peut donner ne remédiera à rien et sera promptement absorbé par la débauche ; mais la pauvreté est telle, qu’un secours est nécessaire » À un chef de service, à celui qui par fonctions connaît les indigents, leurs habitudes et leurs mœurs, je disais : « Sur cent mille indigents aidés par vous, combien en existe-t-il d’intéressants ? » Il leva les épaules d’un air découragé, et me répondit : « Une cinquantaine[1] ! »

  1. Le résumé d’un des nombreux rapports que j’ai eu à examiner donnera idée des mœurs de la population qui s’adresse ordinairement à l’Assistance publique : « Le nommé L… el la femme L… sont mariés ; ils ont quatre enfants en bas âge ; leur misère, qui est affreuse, est le résultat de l’inconduite. Ils vivaient très-unis en concubinage jusqu’au jour où ils furent mariés par l’entremise de la Société de S-R. Depuis cette époque, le mari accable la femmne de mauvais traitements ; engagée à formuler une demande en séparation, la femme L… a répondu : « Il est si fort que je ne peux faire que l’aimer ! » Toute cette famille a