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porté la santé, on a moralisé ces quartiers misérables, car on en a chassé les malfaiteurs que le grand jour épouvante et qui ne trouvent plus à se cacher dans les vastes espaces où se dressaient autrefois leurs taudis lézardés. Partout cependant, au milieu de ces anciens quartiers où les démolisseurs n’ont pas encore pu entreprendre leur travail d’assainissement et d’épuration, le crime sait se faufiler et s’abriter.

Il existe encore malheureusement, dans le centre même de Paris, dans la région commerciale, des rues si étroites, si sales, si sombres, qu’elles ressemblent à des égouts coulant à ciel ouvert. Le soleil n’a jamais pu y pénétrer ; les murailles hautes, ventrues, fendillées, paraissent osciller sous le poids de cinq étages ; elles se dressent, bossuées, verdâtres, moisies, lépreuses, exhalant une insupportable odeur de salpêtre humide, ayant des loques à chaque fenêtre et titubant sur leur base affaiblie. De chaque côté de ces sortes d’ornières, où il serait impossible d’appliquer un trottoir, des marchands de vieille ferraille, d’habits sordides, de chiffons empestés, de verres cassés, de tonneaux crevés, gîtent sous des hangars plus semblables à des tects à porcs qu’à des habitations humaines. Çà et là apparaissent quelques auberges de mine sinistre, portant sur une enseigne où l’orthographe boîte à chaque mot, l’inscription : On loge à la nuit. Dans les ruisseaux et sur les tas d’ordures, les enfants à demi nus jouent avec les chiens galeux ; d’une maison à l’autre on s’interpelle, on se dispute ; s’il y a un cabaret, on y entend des cris ; des femmes ivres poursuivies par les huées des gamins battent les bornes en se traînant aux murs ; la biographie des habitants, de la plupart, sinon de tous, est écrite sur le livre d’écrou des prisons ; si un locataire manque dans une de ces masures, on ne s’en inquiète guère, on sait où il est : au Dépôt, à Mazas, à la