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méprisable, il n’en tient compte ; lorsqu’elle le gêne, il la supprime ; il dit : J’ai buté un pante (j’ai tué un homme), avec autant de tranquillité que tout autre dirait : J’ai bu un verre d’eau. Ce sont les scionneurs qui parcouraient les bords du canal avant que le boulevard Richard-Lenoir en eût si profondément modifié les alentours. Ils procédaient alors par le charriage à la mécanique, effroyable invention qu’ils n’ont que trop souvent mise en œuvre. Deux scionneurs réunis avisaient un passant. L’un d’eux lui jetait autour du cou un mouchoir roulé de façon que les deux bouts pendissent sur les épaules, puis saisissant ces deux bouts avec les mains, il enlevait le patient, dos à dos. Le malheureux à demi étranglé, ne touchant plus terre, se débattait en vain sans pouvoir crier ; l’autre scionneur, pendant ce temps, visitait les poches, y prenait l’argent, la montre, le portefeuille, en un mot tout ce qu’il pouvait saisir ; puis d’un coup d’épaule on envoyait la victime dans le canal. Lorsqu’il est seul, qu’il se sent le cœur faible et qu’il n’a pas le courage d’attaquer un homme de face, le scionneur l’étourdit en le sablant. Il tient à la main une peau d’anguille qu’il a remplie de sable fin bien tassé, et qui, ainsi disposée et bien maniée, devient une arme terrible, car elle est à la fois très-flexible et très-lourde. Un seul coup habilement appliqué sur la nuque jetterait un colosse par terre. Quand l’homme ainsi assommé est dépouillé, le scionneur vide sa peau d’anguille et s’éloigne, les mains dans ses poches, n’ayant sur lui aucune arme qui puisse faire soupçonner qu’il est l’auteur du meurtre commis.

J’arrive à la fin de cette longue énumération : j’ai nommé les soldats, les sous-officiers, les capitaines ; voici le chef, le plus redouté, celui dont on envie les hauts faits et la gloire : voici l’escarpe, l’assassin. Il faut entendre là, non pas le voleur qui tue par vengeance ou