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étroite et les ressources sont trop limitées ; il n’y a place que pour cent trente-quatre pensionnaires ; si l’on pouvait quintupler le nombre des lits, ils ne resteraient point vacants. L’expérience a démontré que, sauf exceptions motivées, il était bon d’imposer une limite d’âge ; autant que possible, nulle enfant n’est admise avant seize ans, nulle femme après vingt-trois ; plus jeunes, les filles qu’on ne pourrait que trop facilement recueillir n’offrent aucune notion du bien et du mal, elles n’ont guère encore que des instincts sur lesquels il est difficile d’agir ; plus âgées, elles ont une telle habitude du vice, elles sont si profondément imprégnées de débauche, elles ont des cerveaux si parfaitement ossifiés par l’abrutissement, qu’elles déjouent toute influence et qu’elles ne peuvent se plier à la vie régulière et monotone d’un couvent. Du reste, il n’y a là ni vœux, ni engagement. La porte est constamment ouverte pour celles qui veulent s’en aller ; seulement, lorsque l’on quitte la maison, c’est pour toujours, et jamais il n’est permis d’y rentrer ; en revanche, on y peut rester jusqu’à l’heure de sa mort.

Il faut croire que l’on ne s’y trouve pas trop mal, car j’ai vu là une femme de soixante-dix-sept ans qui habite la maison depuis que l’œuvre a été fondée. Elle a gardé souvenir des jours pénibles du début ; elle se rappelle que l’on dormait sur des feuilles sèches, tant on était pauvre et dénué, que l’on ne mangeait que du pain bis, que l’on n’avait point de feu en hiver et que l’on se couchait avec le soleil, parce que l’on n’avait pas de quoi acheter de la chandelle. Peu à peu, tout s’est modifié : on a eu des lits, de vraies couvertures en bonne laine, de la lumière ; on a pu manger de la viande et se procurer des médicaments pour les malades qui ne sont que trop nombreuses parmi ces pauvres épaves de la dépravation ; au lieu des durs sabots, on a porté des