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qui perdent les jeunes filles de la classe ouvrière. Sur ce sujet, certains écrivains de parti pris sont intarissables et parlent volontiers de « l’or corrupteur ». La vérité est bien plus simple. Les « filles du peuple » sont perdues par le peuple. Dans les vastes maisons à logements multiples qu’elles habitent, dans les ateliers qu’elles fréquentent, dans les bals interlopes où on les entraine, dans les cabarets où on les conduit, elles n’ont que trop de mauvais exemples sous les yeux, que trop de sollicitations à repousser, que trop de combats à soutenir, que trop de ruses à déjouer, que trop d’attaques violentes à éviter. Les hommes, irresponsables, et ne voyant guère là qu’une simple affaire de plaisir, s’entraident pour ces œuvres malsaines ; parfois même ils s’associent. On le vit bien dans cette ténébreuse affaire de la Tour de Nesle qui se dénoua en septembre 1844 devant la cour d’assises, et qui montra en action une confrérie de vingt-sept jeunes ouvriers se réunissant, sous de faux noms, dans une maison de la rue du Pot-de-Fer-Saint-Marcel, où ils attiraient de malheureuses enfants qu’on a presque toutes retrouvées couchées sur le grabat des hôpitaux. Dans cette classe de la société où l’instruction est rudimentaire, l’éducation nulle, la morale une convention inconnue ; où la nécessité de gagner sa vie dès l’enfance donne une liberté d’allures considérable ; où l’ouvrière est le plus souvent placée sous l’autorité immédiate d’un chef d’atelier dont sa destinée peut dépendre ; où le mal n’est flétri que lorsqu’il est public, la vertu d’une femme court d’autant plus de risques que nul ne la respecte et que chacun semble prendre à tâche d’y porter atteinte. On n’a qu’à consulter les tables de la criminalité et l’on verra que, sur cent attentats aux mœurs, il y en a au moins quatre-vingt quinze qui sont commis par des hommes de la classe ouvrière.