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gorgèrent leurs buveurs, qui se rangèrent sur la chaussée ; quelques hommes ôtèrent leur casquette. On demanda un dernier effort aux chevaux en sueur et l’on entra dans le cimetière, dont les portes furent immédiatement refermées. On traversa des allées pleines de cyprès où les tombes amoncelées semblent manquer de place et se pressent les unes contre les autres ; on franchit une vaste palissade en planches, et l’on pénétra dans la partie réservée aux morts des hôpitaux, de la Morgue et aux suppliciés : c’est le Champ des navets. Rien n’est plus désolé ; la terre grise et laide est bossuée çà et là ; de larges tranchées sont ouvertes et attendent leur proie. Des herbes folles ont poussé, chardons, liserons, chicorées sauvages, ravenelles défleuries, et se moirent au souffle du vent ; une poule menait ses poussins à la picorée sur toutes ces tombes. Quelques croix de bois s’élèvent, portant une couronne aux branches. Dans la portion consacrée aux épaves de la Morgue, il y a même un vrai tombeau composé d’une stèle de pierre avec cette inscription : « À une petite fille inconnue âgée de trois ans environ ; témoignage affectueux de quelques âmes charitables ; le 9 juin 1866. » Au moment où le fourgon funèbre est arrivé près d’une vaste fosse commune creusée à l’avance, les nuages se sont subitement déchirés et le soleil a paru.

On a mis la manne par terre et on l’a ouverte ; la face du mort était violette et avait les yeux fermés. Les gens du métier affirment que la commotion est si rapide que la mort est instantanée ; la preuve qu’ils en donnent est celle-ci : le cadavre a les yeux ouverts ou fermés, selon que le glaive l’a frappé pendant qu’il ouvrait ou fermait les yeux. On enlève au corps les entraves qui lui liaient les jambes, les poignets et les bras ; s’il porte quelque vêtement qui ne soit pas absolument hors d’usage, ceux qui l’ont amené s’en emparent ; puis on traîne le panier