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se détourna pour cacher ses larmes et ne put répondre ; l’autre, un vieillard tout blanc, éclata en sanglots. On s’écarta devant l’homme, qui prit la tête du cortège, côtoyé par un gardien, accompagné de l’aumônier, suivi de tous les assistants. Dès qu’il eut franchi le seuil de son cabanon, il se trouva dans la grande antichambre qui précède les trois cellules spécialement réservées aux condamnés à mort, cellules de lugubre mémoire, où Pianori, Orsini, Verger, La Pornmeraye, Philippe, Lemaire, Avinain et tant d’autres ont vécu leurs dernières heures. L’aumônier entraîna rapidement l’homme dans une de ces cellules entr’ouvertes et referma la porte sur lui ; là, sans doute, en vertu du pouvoir qui lie et délie pour la terre et pour le ciel, il donna l’absolution à celui qui n’avait plus rien à attendre que de Dieu. Il dut lui imposer les mains et prononcer les paroles d’espérance extrahumaine qui font le cœur vaillant et raffermissent les courages près de défaillir. Cela ne dura pas une minute, car les instants étaient comptés ; la mort et la justice doivent se rencontrer exactement au rendez-vous qu’elles se sont donné. On se remit en marche ; on traversa le portique qui longe le petit jardin où les lilas frissonnaient au souffle de l’aigre brise du matin, on monta l’escalier étroit et tournant. L’homme allait d’un pas ferme et résolu, les épaules resserrées et penchées par la camisole de force qui le tirait en avant. Dans le corridor des dortoirs les pas résonnaient avec un bruit mat et régulier ; on échangeait quelques paroles à voix basse : « Il va bien ! — Je ne l’aurais pas cru. — Il ne planchera pas ! » Quelqu’un regarda sa montre et dit : « Nous sommes en avance. » Au moment de descendre les degrés qui aboutissent à l’avant-greffe, l’homme se retourna, chercha des yeux le directeur de la prison, et l’ayant aperçu, lui dit : « Il vous reste quarante-quatre francs à moi, je