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obligatoire. Vers quatre heures et un quart, le commissaire de police du quartier, le greffier de la cour impériale, le directeur du dépôt des condamnés, le chef du service de sûreté, l’aumônier, étaient réunis dans le premier guichet de la prison. Le directeur, le chef de la sûreté consultaient leur montre ; lorsque l’aiguille fut sur quatre heures et demie, ils dirent : « Il est temps. »

Par la grande cour, par le second guichet, par les couloirs bordés de cellules où le bruit des pas a dû réveiller plus d’un détenu, par un étroit escalier tournant on arrive au quartier de l’infirmerie. Un porte-clefs en ouvre la porte avec mille précautions pour ne pas troubler à la dernière minute de son sommeil celui qui bientôt va entrer dans la nuit dont on ne se réveille jamais. La porte de sa cellule était entrebâillée, on entra ; l’homme, étendu sur le dos dans sa petite couchette, paraissait assoupi. Le chef du service de sûreté lui dit : « Votre pourvoi a été rejeté par la cour de cassation, votre recours en grâce n’a point été accueilli, l’heure est venue. » Comme poussé par un ressort, il se redressa brusquement et resta assis, muet, regardant autour de lui, immobile dans sa camisole de force. L’aumônier le saisit dans ses bras, lui donna le baiser de paix et murmura : « Du courage ! fiez-vous à la miséricorde divine. » Le chef de la sûreté reprit : « Il faut vous lever. » Sans dire un mot, sans faire un geste qui indiquât, non pas la résistance, mais seulement une velléité d’hésitation, l’homme sortit de son lit. Les gardiens l’habillèrent, non point avec le costume de la prison, mais avec ses propres vêtements qu’on avait apportés. On lui enleva la camisole de force ; quand il vit ses mains nues, il les contempla avec une sorte de sentiment de pitié ; elles étaient solides, bien dessinées, aptes aux œuvres de l’adresse et de la force. On eut dit que pour lui elles étaient l’emblème de la vie