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femmes y sont nombreuses, filles insoumises, coureuses d’aventure, faisant la débauche le soir, et le jour le vol à la détourne ; j’en ai vu qui portaient sur leurs bras des enfants de dix-huit mois ou deux ans, et donnaient sans effort la repartie aux propos salés qu’on leur lançait de toutes parts.

Il y a là aussi des filles de la haute prostitution et ceux qui les hantent ; en sortant de souper dans un café à la mode du boulevard des Italiens, elles ont rencontré un gamin ou un cocher de fiacre qui les a prévenues qu’une exécution capitale se préparait ; il leur a offert, moyennant vingt francs, de les conduire près de la Roquette ; avec joie, elles ont accepté cette partie de plaisir. Celles-là et leurs compagnons ne sont pas moins ignobles que les autres ; leur visage où la peinture effacée laisse transparaître un teint jaune et morbide, leurs belles toilettes fripées par le frôlement de la foule, leurs faux cheveux à demi détachés, la fatigue de leurs traits avachis par la débauche montrent le vice à nu, dans ce qu’il a de plus hideux, de moins excusable, de plus provocant ; elles sont là comme un défi à toute morale et à la société même. À l’exécution de La Pommeraye, il y en eut qui apportèrent de quoi souper, sans oublier le vin de Champagne[1].

Il faisait presque froid. L’exécuteur, assis devant la muraille de la Grande-Roquette, sur une chaise qu’un

  1. Cet empressement malsain ne date pas d’hier, et les gens qui se piquent de « comme il faut » en ont souvent donné l’exemple. Qui ne se souvient de la lettre de madame de Sévigné, en date du 17 juillet 1676, sur le supplice de la Brinvilliers et sur la foule qui s’entasse pour y assister : « Enfin, c’en est fait, la Brinvilliers est en l’air. » (Lettres de madame de Sévigné, t. IV, p. 528, édit. Hachette.) Dans un intéressant travail de M. Charles Louandre, intitulé : Une prison d’État sous Louis XIV, je lis : « Les exécutions avaient un grand attrait pour les habitants de Paris ; les bourgeois, la plus haute noblesse, les femmes les plus élégantes s’y portaient en foule ; l’échafaud faisait concurrence aux théâtres et, les jours de supplice, les acteurs avaient grand soin de ne pas jouer de pièces nouvelles. »