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force majeure, elle ne devrait point incomber à des militaires, pour qui elle est sans prétexte et souvent pénible. La fenêtre donne sur le premier chemin de ronde, et si le condamné pouvait regarder par les vitres, il verrait qu’une sentinelle surveille cette baie garnie de fer et ouverte dans une muraille en pierres meulières de deux mètres d’épaisseur ; les précautions sont bien prises, et il faudrait l’anneau de Gygés pour déjouer une surveillance si activement soupçonneuse.

Dans sa cellule, l’homme est laissé libre, si ce mot peut s’appliquer à un tel état ; il fait ce qu’il veut ; il dort, il se lève, il se couche, il fume, il lit, il parle, il se tait, selon sa fantaisie ; pour se promener, il a à sa disposition exclusive une sorte de cour au milieu de laquelle s’épanouit un massif de marronniers mêlés de lilas de Perse et qui est entourée de galeries qui permettent l’exercice à l’abri du mauvais temps. Instinctivement et sans effort, on agit à son égard avec une grande douceur ; ne doit-il pas bientôt mourir ? à quoi bon alors être trop sévère ? Il échappe absolument au monde extérieur. À moins d’autorisation spéciale, qu’on n’accorde, à proprement dire, jamais, il ne voit personne. Le directeur lui rend visite et, autant que les règlements l’y autorisent, satisfait à ses désirs ; mais il est défendu expressément aux gardiens et aux soldats qui l’approchent de lui parler des choses du dehors ; il est là comme un mort anticipé dans son sépulcre. Quand il oublie, quand la réalité ne le saisit pas trop impérieusement, il cause avec ses gardes. De quoi parle-t-il ? De son crime, de ses regrets, de ceux qu’il laisse après lui, car, si dénué qu’on soit, on a toujours quelque lien qui vous tient au cœur ? Nullement. Semblable aux vieillards qui, devant la tombe entr’ouverte, font invinciblement un retour vers le passé, il parle de son enfance, de sa jeunesse, des premières impressions