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fermé, il ressemble à l’étui dont les tailleurs font usage ; il contient une lame de poignard, une vrille, une lime à bois, une scie à bois, une scie à fer, qu’on peut monter en archet et qui a cinq lames de rechange ; il n’y a ni chaîne, ni barreau qui puissent résister à un pareil outillage habilement manié[1].

Quand cet examen est terminé, le condamné revêt du linge et des habits apportés exprès : honteuse livrée grise, qu’il n’abandonnera qu’au jour de sa libération. Puis on lui passe aux jambes des anneaux de fer reliés par une chaînette dont la longueur mesurée permet au prisonnier de marcher et lui interdit de courir. Les bracelets sont fermés à l’aide d’une clef qui manœuvre un boulon à vis dont la tête est assez enfoncée dans l’orifice pour ne pouvoir être atteinte à la main. On fait l’appel des noms ; chaque condamné doit répondre et indiquer en même temps sa masse, c’est-à-dire l’argent que le greffier a confié pour lui au conducteur et qui ne lui sera remis qu’à destination. J’ai vu un de ces misérables qui, frappé d’une condamnation à vingt ans de travaux forcés, partait pour Toulon et de là pour la Nouvelle-Calédonie ; sa masse se composait de dix-sept sous. Celui-là même me prouva, une fois de plus, que chez les criminels le remords est l’état d’exception. Il avait été condamné pour attaque nocturne suivie de vol ; me parlant de l’homme qu’il avait essayé d’assassiner, il me dit : « Je n’ai pas eu de chance ; je croyais bien l’avoir tué ; pas du tout ; huit jours après l’accident, je le retrouve à l’instruction qui dit du mal de moi ! »

En voiture cellulaire, les condamnés sont conduits à la gare, où, depuis le mois de juin 1868, ils trouvent un wagon divisé en dix-huit cellules, qu’ils ne doivent quitter qu’à leur arrivée au bagne. Lorsqu’on se rappelle l’horrible cortège de forçats enchaînés qui jus-

  1. Voir Pièces justificatives, 5.