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qui en sont chargés. Vêtus de la tunique bleue au collet de laquelle brille une étoile d’argent et dont les boutons portent au centre un œil ouvert entouré des mots : Prisons de la Seine, le surveillant va et vient sans cesse d’un bout à l’autre de la galerie confiée à ses soins ; il regarde par le judas des cellules, il s’arrête s’il entend un bruit anormal ; il peut tout voir et n’est pas vu ; tournant machinalement entre ses doigts la lourde clef qui ouvre toutes les portes, il glisse plutôt qu’il ne marche, et la nuit il ne doit porter que des chaussons de lisière afin que ses pas ne puissent troubler le sommeil des détenus. C’est, en général, un ancien militaire façonné aux habitudes de la discipline forcée et connaissant toutes les sévérités de la consigne. À le voir, on dirait qu’il participe de la prison même : il est muet comme elle ; il ne rit pas ; s’il parle, c’est à voix basse. C’est, du reste, une impression presque inévitable qui vous saisit lorsqu’on parcourt ces vastes établissements cellulaires ; on s’y croit dans la chambre d’un malade : sensation instinctive et très-juste, car les lésions morales sont des affections morbides tout aussi bien que les lésions de la chair. À force de voir des détenus, le gardien les considère comme d’autres hommes, il n’en a plus ni horreur, ni pitié ; il dit volontiers : « Ce sont des gens qui sont comme ça. » Avec eux il est poli et même très-doux, par indifférence d’abord et aussi parce qu’on le lui recommande. Il n’en est pas moins prudent, et c’est toujours à reculons qu’il sort d’une cellule. C’est lui qui veille à l’exécution stricte du règlement, dont les prescriptions, très-simples, sont du reste faciles à suivre. À six heures en été, à sept heures en hiver, on sonne le lever à l’aide d’une cloche placée dans la rotonde ; au bout d’une demi-heure, le détenu doit avoir roulé son hamac et balayé sa cellule ; on ouvre alors la porte et toutes les ordures sont enlevées par des prisonniers qui,