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de cette grande fonction. Quelques-uns de ces magistrats ont porté l’amour de la justice plus loin qu’on ne pourrait imaginer ; on a gardé très-vivant au palais le souvenir d’avocats généraux, M. Plougoulm[1], M. Glandaz, qui, se trouvant en face d’un avocat dont l’inexpérience laissait péricliter la défense de l’accusé, se sont levés pour répliquer, et ont fait valoir, tout en requérant l’application de la loi, les causes qui pouvaient mériter au coupable l’indulgence du jury. Pendant que le ministère public parle, l’accusé, abritant presque toujours son front dans sa main, ne le quitte pas des yeux ; il est manifestement sous le poids d’une obsession des plus pénibles, il espère que tel fait ne sera pas rappelé, que tel autre passera inaperçu ; son anxiété augmente et ne cesse qu’avec le discours.

C’est le tour de l’avocat. En cour d’assises, il n’y a guère de milieu, on a affaire à « une des lumières du barreau » ou à un débutant qui a été désigné d’office. Je ne voudrais point paraître faire des paradoxes : je ne les aime guère et la matière n’y prête pas ; mais dans les causes criminelles je préfère le débutant à l’avocat célèbre. Savoir qu’on défend un sacripant fieffé, connaître les détails du crime et en être révolté, avoir plongé, par

  1. On se rappelle encore au Palais une affaire dans laquelle il s’agissait d’une accusation d’assassinat ; il y avait des présomptions accablantes ; étaient-ce des preuves de nature à entraîner un verdict de culpabilité ? M. l’avocat général (Plougoulm) doutait, mais il avait dû mettre les présomptions en relief, et il les livrait, avec son doute, à l’appréciation du jury. C’était à la défense de parler. Le défenseur se troubla, soit inexpérience, soit timidité d’un début, il ne défendit pas, et il se pouvait que sa parole incomplète fût, dans la pensée du jury, l’impuissance de la justification elle-même. M Plougoulm se leva avec une émotion profonde pour dire qu’il allait défendre l’accusé. Il était, disait-il, non un instrument d’accusation, mais un représentant de la loi ; la loi ne voulait pas qu’un accusé fût jugé sans qu’il y eut à côté de lui une défense complète, car c’était le droit de défense qui seul pouvait imposer le respect de la chose jugée, et, dans un résumé saisissant, il démontra le doute en présence duquel se trouvait le jury. » (Gazette des Tribunaux, 6 mars 1862 ; art. de Paillard de Villeneuve sur les Œuvres politiques de Démosthènes, traduites par M. Plougoulm)