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On a épuisé la liste des témoins, toutes les confrontations ont été faites, tous les replis d’une mauvaise conscience ont été mis à nu ; la parole est au ministère public ; un grand silence se fait et l’on écoute. L’avocat général, placé tout près du jury et le dominant, s’est levé et parle au nom de la société outragée. Il raconte le crime, en fait ressortir les côtés odieux, groupe les preuves, s’empare des contradictions, les heurte entre elles pour en faire jaillir la vérité et soutient l’accusation. Plus son discours est simple et dénué de fleurs de rhétorique, plus il est doux dans l’expression et modéré dans la forme, plus il produit d’effet. Ceci est indiscutable. L’emportement, l’emphase, le geste théâtral, ne sont point de mise dans ces questions de vie et de mort ; il faut avant tout être très-clair, très-sincère, peu dogmatique, très-humain, très-calme, sinon on s’expose à indisposer le public et à mécontenter le jury. C’est un admirable instrument que le jury ; mais il est si délicat que la plus légère maladresse peut le fausser. Il suffit de vouloir lui souffler la leçon pour qu’il regimbe et fasse diamétralement le contraire de ce qu’on lui demande avec trop de vivacité. Il est libre, absolument libre, il ne relève que de sa propre conscience, il le sait, et ne veut sous aucun prétexte avoir l’air de céder à une pression. Bien des acquittements sont venus de ce qu’on avait sans mesure cherché à l’exciter vers un verdict trop rigoureux, et la violence obsédante de certains avocats généraux a fait acquitter plus de coupables que l’éloquence de tous les avocats réunis.

Debout et invoquant la loi, l’avocat général est à ce moment armé d’une puissance sans limite, car il lui suffit, si sa conscience l’y convie, d’abandonner l’accusation, pour que le misérable surveillé par les gendarmes et assis sur le banc d’infamie soit immédiatement rendu à la liberté. C’est là un des plus nobles privilèges