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Parfois on se heurte contre une loi formelle et des circonstances si particulièrement exceptionnelles, que l’on hésite devant une décision définitive. Il y a trois ou quatre ans, un vieillard est arrêté au moment où, dans une rue très-fréquentée de Paris, il demandait l’aumône. Interrogé, il répond avec une extrême douceur et un accent de vérité qui commande l’attention. On fait prendre des renseignements sur son compte, ils ne sont point défavorables ; mais en poursuivant les recherches pour savoir s’il est vraiment digne de l’intérêt de l’administration, on s’aperçoit qu’on est en présence d’un forçat évadé qui a été condamné en 1825 aux travaux forcés à perpétuité pour vol à main armée sur une grande route. On le fait déshabiller, il porte la marque T. P. Le doute n’est pas possible ; du reste, le malheureux avoue. En 1845, il s’est échappé du bagne, il s’est caché à Paris, y a établi, dans un quartier populeux, un petit commerce de bimbeloterie qui a réussi et lui a permis de vivre honorablement. Il est marié et a un fils. En 1848, il a été lieutenant de la garde nationale, a fait son devoir dans les moments difficiles et s’est toujours bien conduit. Puis les mauvaises heures sont venues, la faillite a emporté le petit commerce, la misère et la faim ont frappé à la porte ; il est bien las ; il voudrait ne pas aller aux galères finir les jours qui lui restent à vivre. Que faire ? Rejeter cet homme sous la chiourme des bagnes, continuer à le punir en 1865 d’une faute, d’un crime qu’il a commis il y a quarante ans ; oublier

    relative que lui valaient ses fonctions. Sa peine purgée, il fut ramené à la préfecture de police et interrogé de nouveau. Cette fois, il se décida à faire des aveux complets. Le pauvre diable avait été l’associé d’un marchand de vins compromis dans une affaire de banqueroute simple ; il s’imagina que tous les faillis étaient invariablement condamnés aux galères perpétuelles, et pour éviter le sort dont il se croyait menacé, il inventa la fable ridicule dont il fut la première victime. On en eut grand’pitié, et l’on s’est employé, je crois, à lui faire obtenir une petite place qui lui permet de vivre sans trop de difficultés.