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Arrivé près du bœuf, il se baisse, lui saisit le fanon, et d’un seul coup lui tranche la gorge ; il se jette précipitamment en arrière pour éviter le jet de sang, se redresse, et deux fois encore passe l’ongle sur la lame de son couteau pour s’assurer qu’il n’a pas touché la colonne vertébrale, car alors la viande serait devenue impure. Je ne sais si c’est un effet du hasard, mais tous les animaux que j’ai vu sacrifier étaient tournés du côté de l’est, direction idéale vers laquelle tant de religions inclinent à leur insu et sous différents prétextes, comme si elles se souvenaient encore des cultes solaires.

Le bœuf égorgé se débat avec des gestes spasmodiques et terribles ; je n’affirme pas que, dès que le sacrificateur a le dos tourné, un garçon boucher ne saisisse pas une masse et ne frappe pas la victime pour l’achever et abréger ses angoisses dernières. Il est un fait à noter : ces hommes qui vivent dans le sang, dont le métier est de tuer, ont horreur de voir souffrir les animaux et ils procèdent toujours de façon à les anéantir du premier coup. Lorsque le bœuf a enfin poussé le dernier râle, qu’on est certain qu’il est bien mort, on l’ouvre. Le schohet revient alors, il examine s’il n’y a pas d’adhérence au poumon, si l’estomac ne contient pas un objet qui aurait pu à la longue amener une perforation, si la vésicule du fiel, si la rate sont intactes, si nulle fracture, fût-ce celle d’une vertèbre caudale, n’atteint les os[1]. Lorsque l’examen est satisfaisant, lorsque nul signe néfaste n’a été remarqué, l’animal est dit coscher (droit), c’est-à-dire permis, et comme tel on le

  1. Un animal qui, déjà lié pour le sacrifice se briserait un membre en tombant, deviendrait immédiatement impur. Ce n’est pas seulement la religion juive, c’est l’antiquité païenne tout entière qui a exigé qu’un animal fut parfait pour être offert en sacrifice. Voir dans les Acharniens d’Aristophane la scène de la vente des prétendus cochons entre le Mégarien et Dicéopolis.