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voyant l’intendant de la généralité se disposer à ouvrir des routes qui auraient permis le facile transport des céréales, firent une humble supplique où ils disaient : « Ne prétendons pas être plus sages que nos pères ; loin de créer pour les denrées de nouvelles voies de circulation, ils obstruaient fort judicieusement celles qui existaient. » Voilà donc ce que pensaient les cultivateurs. Les nobles ne pensaient pas mieux : en 1775, le 18 avril, M. de la Tour du Pin, intendant de Bourgogne, disait aux paysans qui étaient venus à Dijon crier famine autour de lui : « Allons, bonnes gens, retournez à vos terres, voici que l’herbe pousse. » Ce n’était pas un conseil dérisoire ; à cette époque, la moitié de la France broutait[1]. Aux efforts de Turgot on répondit par la guerre des farines. En 1777, il y eut dans la Brie, la Normandie, le Soissonnais, le Vexin, des soulèvements de peuple pour empêcher les grains de circuler librement d’une province à l’autre.

Ces mouvements réactionnaires de la population étaient-ils spontanés et réels ? Sur beaucoup de points, oui certes, car les préjugés sont tenaces quand ils s’appuient sur l’ignorance et la crédulité ; mais dans bien des endroits ils furent fomentés par des gens intéressés[2]. Turgot avait contre lui les hommes de cour qui vivaient d’abus et tous les agents d’administration, à qui l’exer-

    que son peuple, s’il emploie toujours de pareils hommes. MM. Turgot et de Malesherbes sont des philosophes dans toute l’acception du mot, c’est-à-dire des législateurs ; mais comme leurs plans ont pour but l’utilité publique vous pouvez être sûr qu’ils ne satisferont pas les intérêts individuels. »

  1. Il existe encore des pays où la misère réduit les pauvres à cette extrémité ; il n’est pas un voyageur en Égypte qui n’ait vu les fellahs arracher du trèfle dans les champs et le manger.
  2. Ce qui tendrait à le prouver, c’est que les cahiers des États généraux sont presque unanimes pour demander, comme le bailliage d’Avesnes, à l’article 14 : « Que les barrières, dans l’intérieur du royaume, soient reculées aux extrêmes frontières, et que la circulation intérieure et le commerce de toutes marchandises et denrées soient entièrement libres et exempts de tout péage de traverse. »