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sonnable, les producteurs et les marchands s’abstenaient, vivaient chez eux sur leurs propres récoltes et désertaient les marchés, où la population parisienne, grâce à tant de mesures vexatoires, ne trouvait plus de quoi s’approvisionner. Cependant Paris était le centre d’une zone qui, selon les circonstances et les époques, a varié entre 10 et 20 lieues et dans laquelle, sous peine de châtiment, il était interdit aux paysans de trafiquer de leurs denrées ailleurs que sur les halles publiques de la capitale. On y tenait sévèrement la main ; un arrêt de 1661 défendait aux voituriers, sous menace de confiscation, de vendre des grains sur les routes ou même de délier leurs sacs. Ce grenier d’abondance qu’on avait eu ainsi la prétention d’établir autour de Paris, était lui-même si dénué, si âprement visité par l’esprit fiscal, que la ville manquait le plus souvent d’une nourriture suffisante pour ses besoins.

Sous la Régence, cela ne changea guère : au moment où le magicien Law transforme le papier en or, les denrées atteignent des prix exorbitants. Le bonhomme Buvat, juché dans sa haute chambrette de la Bibliothèque, regarde ce qui se passe et enregistre tout ce qu’il voit. Le 11 avril 1719, Law fait venir les principaux bouchers et leur intime l’ordre de donner la viande à quatre sous la livre, ce qui était impossible, puisqu’elle leur revenait plus cher. Il les menace, mais en vain. La viande n’en devient pas plus abondante, au contraire ; pendant le carême de 1720, l’Hôtel-Dieu, qui seul depuis le seizième siècle avait le privilège de vendre de la viande durant le temps consacré, vit sa boucherie absolument dégarnie, et, comme il faut trouver un motif à une telle disette, Buvat l’attribue au grand nombre de calvinistes, luthériens, protestants qui, attirés à Paris par l’agiotage, n’observent pas les prescriptions du jeûne catholique. Le 13 avril 1720, le conseil d’État prit un