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amène une fermentation égale, largement développée, et qui procure un arôme qu’on ne trouve en réalité aujourd’hui que dans les tabacs à priser français ; mais il est des gourmets difficiles à qui notre râpé ordinaire ne suffit pas ; semblables à ces buveurs dont le palais perverti n’est plus chatouillé que par des vins factices composés de trois ou quatre crus différents, ils n’ont de plaisir à priser que des mélanges arbitraires où la science n’a rien à voir et où la fantaisie a la plus grande part. La manufacture est bonne princesse et se soumet à ces sortes de caprices.

Dans un coin de la maison s’ouvre une sorte de cabinet mystérieux. Lorsqu’on y pénètre, on aperçoit une rangée de dames-jeannes en grés bouchées avec des couvercles de bois. Elles renferment des échantillons de tous les tabacs à priser connus. Un employé, qui tient entre ses mains le secret des priseurs émérites de Paris, procède avec un sérieux sacerdotal aux triturations qu’on lui demande. Il y a des combinaisons célèbres qui portent le nom de ceux qui les ont inventées. Les mélanges Humann, Planard, Grammont sont assez recherchés ; celui de madame de Chabannes fait fureur. Un répertoire sur lequel j’ai pu jeter un coup d’œil indiscret, et qui contient de fort grands noms, entre autres celui de S. M. le roi Charles X, renferme la nomenclature des clients habituels et le détail de la composition particulière réclamée par chacun d’eux. Dans les proportions indiquées, on mêle au tabac ordinaire tant de parties de Virginie haut goût, d’Amersfort, qui sent le fumier, de Macouba, qui sent la rose, de Portugal, qui sent l’iris, d’Espagne, qui sent mauvais ; puis tout est enfermé dans un flacon de verre sur lequel on colle une étiquette : Mélange n° 932, M. N… Si j’en crois le petit registre, beaucoup d’ecclésiastiques sont en correspondance assidue avec l’employé chargé de composer ces