Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partie inférieure, avec une trémie longitudinale. Une vis d’Archimède, vis sans fin, qui tourne rapidement et ressemble à une immense tarière faite par Hercule ou Briarée, entraîne invinciblement le tabac vers un conduit de bois par où il descend au premier étage dans une sorte de vaste coffre fermé qui figure assez bien une armoire.

Ce coffre renferme une noria, c’est-à-dire une drague composée d’une chaîne sans fin munie de godets qui ramassent le tabac, le remontent au troisième étage et le versent sur des tamis métalliques automatiquement agités d’un va-et-vient perpétuel. La poudre arrivée à l’état normal traverse les mailles du tamis et glisse vers des sacs qui la reçoivent ; celle, au contraire, qui est trop grosse encore, est rejetée vers une trémie également balayée par une vis d’Archimède qui renvoie le tabac dans les moulins. C’est un circulus. La matière brute versée au troisième étage y remonte à l’état de mélange de grains suffisamment fins et de grains encore imparfaits, mais les tamis qui effectuent la séparation sont tellement précis, qu’ils savent, pour ainsi dire, choisir eux-mêmes et n’accepter exclusivement que les produits parvenus au degré de fabrication exigée.

Seulement si un grain de tabac, poursuivi par un mauvais sort, passe sur une portion de tamis déjà oblitérée et ne trouve pas une maille favorable, il peut, comme une âme en peine, tourner dans les trémies, être trituré par les moulins, monter dans la noria pendant des années entières, au hasard du vent qui le chasse et des machines qui l’entraînent. On calcule qu’en général il faut qu’un fragment de tabac fasse dix fois le voyage complet du haut en bas de la maison et subisse dix fois la morsure des mortiers avant d’être accepté par les tamis et reconnu satisfaisant. Aussi lorsque dans une journée on a livré 45 000 kilogrammes en lanières aux