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conduit à une large cuve, où les ouvriers la reprennent pour la jeter de nouveau sur les feuilles. Elles restent là vingt-quatre heures sous l’influence d’une humidité persévérante qui finit par les imprégner complètement, leur donne une souplesse analogue à celle du linge mouillé et permet qu’on les développe avec facilité sans risquer de les briser. Le sel qui entre dans le liquide de la mouillade a pour but de mettre obstacle à toute fermentation putride qui se produirait infailliblement par le contact prolongé de l’eau simple avec une matière végétale.

Lorsque les feuilles ont atteint le degré d’humidité et de flexibilité voulu, on les transporte enfermées dans des sacs manœuvrés à dos d’homme, — méthode pénible et barbare qu’on aurait dû abandonner depuis longtemps, — dans la salle du hachage. Les hachoirs pour le tabac râpé ont une action tellement rapide, que deux suffisent aux besoins de la manufacture, et encore ne sont-ils en œuvre que pendant une partie de la journée. Les feuilles prises en paquet sont entassées et poussées par un ouvrier dans une auge aboutissant à un cylindre dentelé, qui les saisit et les fait glisser en quantités à peu près égales vers un tambour armé de six lames obliques. Ces lames, très-tranchantes, dans le mouvement de rotation imprimé au tambour par la vapeur, viennent cent vingt fois par minute araser le cylindre et y rencontrer les feuilles, qu’elles coupent régulièrement en lanières larges d’un centimètre. Le tambour, par l’agilité des évolutions giratoires, fait l’office de van et chasse dans un sac accroché à l’orifice antérieur de l’appareil toutes les parcelles de tabac qui s’accumulent à vue d’œil et voltigent dans le coffre de la machine comme des brins de paille entraînés par l’orage. Cet outil, très-bruyant et d’une force irrésistible, taille facilement 1 200 kilogrammes de tabac en une heure.