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goûter un verre de vin vieux ; de plus, l’exploitation monopolisée rapporte au fisc des revenus considérables qui augmentent chaque année, et qui dès à présent représentent le dixième de la fortune de la France. Le cigare a succédé aux boîtes à priser de nos grands pères ; il a droit de cité partout aujourd’hui, dans les rues, dans les jardins publics, dans les cafés, dans les cercles, dans bien des salons ; encore un pas, et il entrera peut-être dans les théâtres, ainsi qu’en Hollande. Si, comme le prétendent quelques médecins, le tabac est un poison, il faut avouer que les Indiens nous ont fait un triste cadeau ; mais nous leur avons rendu l’eau-de-vie, et nous sommes quittes.

Dès que l’usage de la nicotine tendit à se généraliser sérieusement, on pensa à en tirer bon parti au point de vue de l’impôt, et en 1621 le tabac fut frappé d’une taxe dont la perception fut attribuée à la ferme générale. C’était l’époque où la fabrication — rudimentaire — n’avait pas encore réussi à pulvériser mécaniquement les feuilles importées d’Amérique ; chacun portait alors sa carotte et sa râpe. Cela n’empêcha pas la vogue de persister. En quarante ans, le produit du nouvel impôt avait presque décuplé, car la ferme des tabacs, qui en 1680 rapportait simplement 500 000 livres, donnait un revenu net de 4 200 000 livres en 1720[1]. De 1723 à

  1. Ces chiffres eussent dû être plus considérables, si l’on en croit Buvat, qui dit, à la date de mars 1719 : « On prétendait que la ferme des tabacs produirait au moins 12 millions par an, sur lesquels il fallait en ôter cinq, tant pour les frais de la culture du tabac que pour le salaire des gens qui le façonnaient, des commis et autres frais de la régie ; qu’ainsi il en devait entrer 7 millions dans les coffres du roi. » (Buvat, tome I, p. 365.) La pension de Mme  de Maintenon était prise sur le produit de la ferme des tabacs ; Dangeau dit, à la date du 1er septembre 1715 : « Dans la conversation que M. le duc d’Orléans eut hier à Saint-Cyr avec Mme  de Maintenon, il lui dit que les 4 000 francs que le feu roi lui donnait par mois lui seraient continués, et je viens d’apprendre que cet argent sera pris sur la ferme du tabac et que le duc de Noailles serait chargé de lui porter tous les mois ces 4 000 livres que Menon, fermier du tabac, avait ordre de lui remettre et qu’ainsi elle n’aurait