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trouvent dans les cabarets et les gargotes. Pour deux ou trois sous, ils ont de quoi manger. Chose étrange, les marchands ont une clientèle attitrée, et ils l’attribuent uniquement aux cuisines savantes d’où ils firent ces débris de nourriture. Bien des gens riches, mais avares, sans oser l’avouer jamais, viennent faire là secrètement leurs provisions ; on les reconnaît promptement à leur mine inquiète et fureteuse ; on s’en moque, mais, comme ils payent, on les sert sans leur rire au nez. Tout ce qui peut offrir encore une apparence acceptable est donc vendu de cette manière ; mais il faut savoir tirer parti de chaque chose, et quand un choix indulgent a été fait, il reste encore bien des détritus qu’il est difficile de classer. Ceci est gardé pour les chiens de luxe. Les bichons chéris, les levrettes favorites ont là leurs fournisseurs de prédilection, et chaque jour bien des bonnes femmes font le voyage des Halles pour procurer aux animaux qu’elles adorent une pâtée succulente et peu coûteuse. Les os, réservés avec soin, sont livrés aux confectionneurs de tablettes de bouillon, et revendus ensuite aux fabricants de noir animal, après qu’on en a extrait la gélatine. Il n’y a pas de sots métiers, dit-on : je le crois sans peine, car l’on cite quelques bijoutiers qui se sont retirés du commerce après avoir, en peu d’années, amassé une dizaine de mille livres de rente.

C’est là qu’on trouve aussi les marchands de mie et de croute de pain. On utilise tout dans cet immense Paris, et il n’est objet si détérioré, si dédaigné, si minime, dont quelque homme intelligent ne parvienne à tirer parti. Le fond de la marchandise première dont ces industriels ont besoin est fourni surtout par les collèges, par les pensionnats. Les enfants gâchent volontiers le pain qu’on leur donne, ils le jettent, le poussent à coups de pied dans les cours où ils prennent