le langage administratif désigne sous le titre de marchands de viandes cuites, et le langage populaire sous le nom de bijoutiers. Ceux-là sont au nombre de dix-sept et méritent qu’on en parle. Ce qu’ils vendent se nommait jadis des rogatons, mais l’argot a prévalu, et cela s’appelle aujourd’hui des arlequins. De même que l’habit du Bergamasque est fait de pièces et de morceaux, leur marchandise est composée de toutes sortes de denrées. Ces gens-là recueillent les dessertes des tables riches, des ministères, des ambassades, des palais, des grands restaurants et des hôtels en renom. Chaque matin, eux-mêmes ou leurs agents traînant une petite voiture fermée et garnie de soupiraux facilitant la circulation de l’air, vont faire leur tournée dans les cuisines avec lesquelles ils ont un contrat. Tous les restes des repas de la veille sont jetés pêle-mêle dans la voiture, et ainsi amenés aux Halles jusque dans la resserre. Là, chaque marchand fait le tri dans cet amas sans nom, où les hors-d’œuvre sont mêlés aux rôtis et les légumes aux entremets. Tout ce qui est encore reconnaissable est mis de côté avec soin, nettoyé, paré (c’est le mot) et placé à part sur une assiette. On se cache pour accomplir ce travail d’épuration, et le client n’y assiste pas, en vertu de cet axiome, encore plus vrai là qu’ailleurs, qu’il ne faut jamais voir faire la cuisine. Lorsque tout est terminé, qu’on a tant bien que mal assimilé les contraires, on fait l’étalage habilement, mettant les meilleurs morceaux en évidence, tentant la gourmandise des passants par une timbale milanaise à peine éventrée, par une pyramide de brocolis. Là, tout se vend, et il n’y a guère d’exemple qu’un marchand de viandes cuites n’ait fini sa journée vers midi ou une heure.
Beaucoup de malheureux, d’ouvriers employés aux Halles préférent ce singulier genre d’alimentation à la nourriture plus substantielle, mais trop chère, qu’ils