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du seigneur. » Qu’un peuple pressuré de la sorte ne soit pas mort d’inanition, c’est là le miracle. Le sac de blé, le bœuf, avaient souvent payé plus que la valeur qu’ils représentaient.

Ces droits, dont Bouteillier appelle l’ensemble le droit haineux, avaient une formule sinistre : « Le seigneur renferme les manans sous portes et gonds, du ciel à la terre ; il est seigneur dans tout le ressort, sur tête et sur cou, vent et prairie ; tout est à lui : forêt chenue, oiseau dans l’air, poisson dans l’eau, bête au buisson, cloche qui roule, onde qui coule[1]. » Le droit de chasse était un des plus pénibles, car il contraignait le paysan à faire certaines cultures préférées par le gibier, à laisser les récoltes sur pied et à supporter un parcours violent qui souvent les détruisait. Il n’était point prudent de se plaindre, et le Parlement de Paris, dans un arrêt de 1779, punit comme rebelles les habitants d’une paroisse qui avaient réclamé judiciairement des indemnités pour délits de chasse. À la veille même de la Révolution les mœurs ne sont pas changées et les habitudes féodales persistent avec une inexprimable brutalité. Au mois d’avril 1787, le duc d’Orléans, emporté dans une chasse au cerf, poursuit l’animal lancé jusque dans Paris, à travers le faubourg Montmartre, la place Vendôme, la rue Saint Honoré, la place Louis XV, renversant et blessant plusieurs personnes sur son passage.

La noblesse et le clergé ne payant point d’impôts, tout retombait sur le laboureur, qui mourait à la peine. J’ai sous les yeux une caricature qui fut rendue publique vers 1788 ; elle peint la situation au vif et fait voir que les temps sont proches. Un paysan vieux et dépenaillé est penché en avant, appuyé sur sa houe ; il ressemble ainsi à une sorte d’animal à trois pattes. Son dos courbé

  1. Michelet, Origines du droit.