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naître celle des malheureux qui sont étendus sur les tristes dalles. C’est là en effet le grand but auquel la Morgue doit servir et pour lequel la préfecture de police ne mesure point ses efforts : constater l’identité des cadavres, régulariser leur état civil et donner une dernière et douloureuse satisfaction aux familles. Si les vêtements du mort contiennent des papiers, on écrit en hâte aux personnes qu’ils peuvent indiquer ; si un curieux entré par hasard émet des doutes sur l’individualité des corps exposés, on lui demande de désigner la demeure, les habitudes, les relations du pauvre diable qui n’est plus, et aussitôt une enquête est commencée. C’est ainsi par induction, par interrogatoires répétés, en harcelant les gens de questions et de lettres, en passant du connu à l’inconnu, qu’on parvient, après mille difficultés, à savoir précisément le nom, l’âge et la profession de la plupart de ces êtres informes que la Morgue reçoit tous les jours.

Ce dur métier est mal rétribué : le greffier, sur qui pèse une responsabilité perpétuelle, a 2 100 francs par an ; son personnel, insuffisant aujourd’hui, est composé d’un commis aux écritures, de deux garçons de salle et d’un surveillant, qui touchent chacun 1 200 francs. C’est trop peu, et un si pénible labeur devrait être rémunéré plus largement ; nul travail n’est plus fatigant, plus répulsif. En dehors de la besogne matérielle, qui par elle-même est horrible, il y a un inconcevable déploiement d’activité dans cette recherche permanente, qui le plus souvent ne s’appuie que sur des données incertaines, sinon inexactes. C’est à toute heure qu’il faut être prêt à répondre et à questionner ; chaque nuit un homme veille pour recevoir les corps que l’on pourrait apporter. À force de manier des cadavres, les deux garçons qui sont chargés de les exposer sont arrivés à une indifférence et à une habileté sans égales.