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existence spéciale, représentée par les industries qui vivent sur elle et par elle.

L’écrivain qui raconterait l’histoire de la Seine pendant les seize premiers siècles de la monarchie française serait bien près d’avoir fait une histoire complète de Paris. Grâce aux routes d’abord et ensuite aux chemins de fer, elle n’a plus cette utilité redoutable qui en rendait la libre possession si précieuse ; elle n’est plus la clef de la famine ou de l’abondance. Pour apprécier le rôle qu’elle jouait encore dans des temps relativement rapprochés de nous, il faut se rappeler ce que dit Pierre de l’Estoile : « Le samedi 7 avril 1590, la ville de Melun fut rendue au roy par composition. La prise de cette ville avec celles de Corbeil, Montereau, Lagny et autres passages de rivières saisis en mesme temps, qui estoient les clés des vivres de Paris, avancèrent fort le dessein du roy, qui estoit de faire faire une diette à ceux de Paris, qui peust tempérer l’ardeur de leurs résolutions et frénaisies. » On sait l’épouvantable famine qui suivit cette conquête de la Seine, car trois mois après « on entendit aucuns deviser sur la mort d’une dame riche de plus de trente mille écus, laquelle ne trouvant pas avec argent de quoi vivre, et voyant deux de ses petits enfants morts de faim, les avoit cachés et fait saler par sa servante, et l’une et l’autre s’en sont nourries au lieu de pain. » À ce moment tous les yeux sont tournés vers la Seine, du haut des clochers on en interroge le cours aussi loin qu’on peut en suivre les méandres ; c’est par elle seule que peuvent arriver les vivres si douloureusement attendus ; aussi quel désespoir lorsque « le dimanche 28 du présent mois d’avril 1591, la flotte de Meaux et de Château-Thierry, conduisant à Paris jusqu’à quatorze cents muis de bled en cent quinze basteaux, est arrestée et prise par les gens du roy. »