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ment à pousser le convoi en avant, le plia en hauteur et le renversa sur lui-même. Par un surcroît de précautions insensé, dont j’ai parlé plus haut, les portières étaient fermées à clef. Les wagons culbutés sur les locomotives dont le foyer brisé avait répandu les charbons ardents, prirent feu presque immédiatement et l’on eut alors un spectacle lamentable. Les voyageurs prisonniers se précipitaient à l’étroite ouverture des portières, luttaient, s’étranglaient, brûlaient. Soixante-treize cadavres furent retrouvés ; je ne compte pas les blessés[1].

Les personnes qui, comme moi, sont contemporaines de cet accident n’ont point oublié l’effroi dont Paris et la France entière furent saisis. Les recettes des chemins de fer baissèrent immédiatement ; le chemin de la rive gauche fut littéralement abandonné, et il fallut bien longtemps pour refaire une éducation qui s’ébauchait à peine. L’épouvante fut telle, on envisageait les locomotives comme des instruments si particulièrement dangereux, si difficilement gouvernables, qu’il fut très-sérieusement question, pour les chemins de Paris à Rouen et de Paris à Orléans qui devaient être prochainement inaugurés, de remplacer la traction mécanique par des attelages de chevaux. La terreur excitée par cet accident se calma peu à peu et les chiffres que j’ai cités prouvent que le public, plus sage, s’est accoutumé aux voies ferrées et s’est familiarisé avec ce genre de locomotion.

  1. Une chapelle qu’on nomma Notre-Dame des Flammes fut élevée sur le remblai qui domine le lieu de l’accident. Depuis quelques années, la Compagnie de l’Ouest a fait planter des arbres autour et y a adjoint une école communale dont elle a gratuitement offert les constructions à la commune. De cette façon, le monument destiné à perpétuer le désastre échappe à la vue des voyageurs, et la chapelle semble être l’annexe de l’école. Tout est pour le mieux ; la Compagnie affaiblit un souvenir pénible, supprime un témoin désagréable, et, du même coup, donne aux enfants une instruction que sans elle ils n’auraient peut-être jamais reçue.