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redoutables, et nulle force ne lui a encore résisté. En somme, que veut Paris ? Un gouvernement assez fort pour être taquiné impunément. L’idéal est étrange et difficile à réaliser. Les gouvernements se fâchent, car en général ils entendent mal la plaisanterie ; Paris s’émeut, s’agite, se lève, est pris de mauvaise humeur, donne un coup d’épaule, casse son joujou, et reste fort penaud d’avoir trop réussi, semblable à un colosse qui, voulant fouetter un enfant, lui casserait les reins.

Sous quelque gouvernement que vive Paris, il reste ce qu’il a été de tout temps, frondeur et profondément égalitaire. C’est un tonneau de vin démocratique ; ceux qui y ont mis les lèvres en restent enivrés à toujours, et chacun veut y boire, car on sent confusément qu’il y a là une force extraordinaire et unique. Cette force morale est plus puissante que toutes les puissances de la terre. En 1815, les alliés sont entrés à Paris, ivres de légitimité, de droit divin, de trône et d’autel. Ils étaient victorieux et se disaient invincibles ; quand ils nous ont quittés, ils étaient vaincus ! l’âme de la grande cité les avait envahis, le souffle mystérieux les avait pénétrés, et ils partirent révolutionnaires, amoureux d’égalité, riant de leurs principicules, demandant le mot d’ordre à ceux mêmes qu’ils avaient battus à Leipzig, en Champagne, à Waterloo. C’est depuis cette époque que les peuples d’Europe sont mal à l’aise, qu’ils parlent vertement à leurs souverains et leur dictent des constitutions.

De tout il en est ainsi ; toute mode, si ridicule qu’elle soit, dés qu’elle est inventée à Paris, est adoptée par le monde entier, et il a suffi que Paris portât perruque pour que l’Europe s’attifât de faux cheveux.

Que pense Paris ? C’est là ce qui inquiète. À l’heure qu’il est, malgré les journaux, les revues, les dépêches télégraphiques et tous les moyens d’information possibles, il y a bien des souverains étrangers qui entretien-